Youssef Salem a du succès : Baya Kasmi, « C’est un film sur la complexité des relations familiales »
Publié le Par Eliott Azoulai
À l’occasion de la sortie en salles de Youssef Salem a du succès, ce mercredi 18 janvier 2023, la rédac de Serieously a rencontré Baya Kasmi, la réalisatrice du film. Découvrez ses réponses à nos questions.
D’où vous est venue l’idée pour le film Youssef Salem a du succès ?
Baya Kasmi : C’était pas vraiment une idée, mais plutôt plein d’obsessions que je trimballe et que je tourne dans ma tête parce que ça se passe souvent ça. C’est d’ailleurs ce que j’essaie de raconter dans le film sur le rapport à l’écriture. Souvent il y a des sujets qui nous obsèdent et que l’on a envie de transformer en histoire. Il y avait tout d’abord l’envie de donner un beau rôle à Ramzy (Bedia). Il y avait également l’envie de raconter ce qu’est écrire et comment on est tiraillé entre le besoin d’écrire parfois sur ce qui n’est pas dit et d’écrire sur des choses personnelles – écrire c’est être sincère, être personnel, et c’est aussi prendre le risque de faire de la peine aux autres, de transformer la réalité, d’être parfois injuste quand on essaie d’être juste et tout un tas de questionnements.
J’avais aussi envie de parler de ce qu’est la représentation en France des minorités issues de l’immigration et comment on est toujours mis dans des cases. Il y également le fait qu’à chaque fois que quelqu’un issu de l’immigration ou d’une communauté réussit, on lui demande « qu’est-ce que vous avez à dire ? » et ce qu’on a à dire semble valable pour tous les autres membres de notre communauté. Or cela peut créer des tensions car on est tous différents. Enfin, je voulais que ce film soit centré sur quelque chose d’universel, à savoir comment on se construit, comment on sort de sa prison, comment on s’invente sans trahir sa famille quand on l’aime. C’est un film sur la famille et la complexité des relations familiales, à quel point on adore se détester, à quel point on déteste s’aimer, et à quel point on est pris là-dedans.
Quelles ont été vos inspirations pour l’écriture des personnages ?
Les personnages, c’est un peu ma passion. Écrire un personnage avec plein de couches, ça vient petit à petit, c’est toujours par rapport à de l’observation, que cela soit de ma famille – mes parents, mes frères et soeurs – ou des familles des autres ou encore d’un ami que j’ai croisé. On peut mélanger les traits de caractère de plusieurs personnes dans un seul personnage et ça, c’est très joyeux à faire. Mon idée était de faire une famille qui, bien qu’elle soit issue du même endroit, comporte des membres tous très différents les uns des autres. Ils n’ont pas du tout la même façon de voir les choses et je voulais créer justement cette famille très unie et complètement cacophonique en même temps.
Vous aviez déjà travaillé avec Ramzy Bedia auparavant. Était-ce une évidence pour vous de lui proposer le rôle principal du film ?
Oui, c’était une évidence et c’était même une de mes motivations. Quand j’ai eu l’idée de Youssef Salem a du succès, j’ai écrit 4-5 pages et c’était évident que c’était pour Ramzy. En plus, je sortais mon premier film avec lui à ce moment-là, on faisait des projections ensemble, donc je lui en ai tout de suite parlé. Il était touché que je veuille à nouveau écrire pour lui, je lui ai pitché le film en une heure, l’idée lui a plu et il m’a dit ‘Bah ouais, je le ferai, j’ai envie de retravailler avec toi’. Au final, mes producteurs n’ont pas voulu faire ce film, et j’ai mis des années à trouver des producteurs qui étaient emballés par cette histoire. Donc le scénario n’est arrivé à Ramzy que sept ans plus tard. Même si, entre temps, on avait quand même gardé des relations, c’est devenu une sorte de compagnon de route. On ne se voit pas souvent mais on sait qu’on a envie de travailler ensemble. Donc ça a beaucoup nourri mon écriture car j’imaginais sa stature, sa façon d’être. C’est très agréable d’écrire pour quelqu’un.
Youssef Salem a du succès traite de plusieurs thématiques sociales importantes. Est-ce essentiel pour vous d’utiliser l’humour pour aborder des sujets de société ?
Oui, complètement. C’est très important. Depuis que j’écris, je crois que j’écris beaucoup – avec Michel Leclerc, aussi – sur des choses qui nous angoissent dans la société : des débats, des polémiques, des façons de parler des gens, etc. Tout cela finit par nous obséder, comme tout le monde. Donc le travail qu’on se donne, nous, est d’essayer d’en faire de la joie, de déplacer un peu le regard pour voir ce que ça a d’absurde, de limité, et pour aller voir derrière, ce qui se passe dans la tête des gens. C’est pour ça aussi qu’on aborde l’écriture en aimant tous nos personnages même quand ils ne sont pas d’accord avec nous.
Ça permet aussi de dédramatiser tout ça quand on écrit. Ce que j’aime dans l’humour, c’est que c’est un genre en soi et le genre pour moi consiste à aller vers le romanesque. C’est à dire qu’on n’est pas dans le réalisme. J’aime bien que les personnages soient romanesques, qu’ils soient bigger than life et pas exactement comme on est.
Avez-vous déjà songé à une potentielle suite du film ?
J’adorerais ! Après, c’est vrai que la réalité du cinéma n’est pas évidente pour ça. Maintenant, si c’est un méga carton et qu’on me propose de faire une suite, ce serait chouette. En tout cas, j’aime beaucoup ces personnages et j’aimerais bien les garder.
Si vous pouviez ne donner qu’une seule bonne raison d’aller voir Youssef Salem a du succès, laquelle serait-ce ?
Rire. Rire avec Ramzy et sa famille. Si je suis fière de quelque chose pendant les projections du film, c’est de voir les gens rire dans la salle. Il n’y a rien qui peut me faire plus plaisir. Je crois qu’on a besoin de ça.
Retrouvez le film Youssef Salem a du succès dès aujourd’hui dans les salles de cinéma.
Eliott Azoulai
Journaliste