Mémoires d’un escargot : la sérieuse obsession cinéma de la semaine
Publié le Par Alexia Malige
Près de 10 ans après son dernier film Ernie Biscuit, le réalisateur australien Adam Elliot revient sur le grand écran avec Mémoires d’un escargot, un long-métrage d’animation d’une originalité remarquable et d’une humanité bouleversante à ne manquer sous aucun prétexte.
C’est quoi ?
A la mort de son père, la vie heureuse de Grace Pudel vole en éclats. Passionnée par les livres et les escargots, la petite fille va subitement être arrachée à tout ce qui lui était familier, y compris son frère jumeau Gilbert, envoyé dans une famille d’accueil à l’autre bout du pays.
Désormais seule et élevée par des inconnus qui ne s’intéressent pas à elle, elle va se renfermer encore un peu plus dans sa coquille, vivant suspendue aux lettres de son frère. Lui seul parvient à la comprendre et ses mots parviennent toujours à lui donner un peu de force et de courage pour aller de l’avant et faire face au harcèlement scolaire dont elle est victime au quotidien.
Noyée dans le désespoir, Grace va toutefois trouver un peu de lumière dans sa vie lorsqu’elle va rencontrer Pinky, une octogénaire déjantée qui va lui apprendre à croquer l’existence à pleines dents.
Y’a qui ?
Alors qu’on retrouve Adam Elliot à la réalisation, lauréat d’un Oscar en 2004 pour son court-métrage Harvie Krumpet et récompensé à deux reprises par le Cristal du long-métrage au festival d’Annecy – notamment en 2024 pour Mémoires d’un escargot – le film jouit d’un casting vocal de choix, composé de plusieurs stars de cinéma australiennes.
Grace Pudel est ainsi campée par la comédienne Sarah Snook, révélée au monde entier grâce à son rôle de Shiv dans Succession, tandis que Jacki Weaver (Yellowstone) incarne la délicieuse Pinkie. Eric Bana (Dirty John), Saxon Wright, Dominique Pinon et Adam Elliot lui-même complètent ensuite la distribution de cette merveilleuse aventure en stop-motion.
C’est un peu comme…
Du noir, du marron, des couleurs ternes et une morosité dominante. A première vue, Mémoires d’un escargot n’est pas là pour illuminer nos vies, ni pour nous faire rire. On en aurait presque des frissons dans le dos ! Grace et Gilbert, tout de pâte-à-modeler et de cynisme vêtus, se détachent ainsi de l’affiche comme deux petites patates gothiques aux yeux tristes, que l’on n’imaginerait pas capables de nous faire vibrer. Et pourtant, ce serait une terrible erreur que de refuser d’écouter leur histoire.
Une histoire brillamment écrite par Adam Elliot, qui y a insufflé toute sa tendresse, sa fragilité et son humour si singulier. Une histoire aussi banale que farfelue, aussi triste qu’heureuse et aussi dure que douce, qui va vous cueillir dès le début et ne va cesser de grandir en vous, malmenant votre coeur jusqu’à ce que les lumières de la salle se rallument.
Contrairement à ce que semble indiquer son titre, le film ne s’apparente d’aucune manière à un documentaire sur la vie des gastéropodes en terre inhospitalières, mais suit simplement une jeune australienne en milieu hostile. A travers un joli récit de vie à la Forrest Gump, le film aborde alors de nombreux sujets difficiles comme le harcèlement scolaire, les violences conjugales, les troubles obsessionnels ou autres abus psychologiques, tout en montrant à chaque fois la lumière au bout du tunnel.
Malgré toutes ces épreuves, l’espoir reste toujours au coeur du film, qui ne tombe jamais dans une désolation cafardeuse. Au contraire, le personnage de Pinky ne rate pas une occasion d’apporter de la couleur et des sourires, redoublant d’excentricité pour faire sortir Gracie de sa zone grise.
Avec intelligence et subtilité, le cinéaste australien choisit ainsi de raconter les étonnantes péripéties d’une jeune marginale, avec une technique d’animation qui l’est tout autant. Comme Ma Vie de Courgette de Claude Barras ou plus récemment le film Pinocchio de Guillermo Del Toro, Mémoires d’un escargot rend ses lettres de noblesses à la stop-motion, art ô combien exigeant auquel les réalisateurs sont finalement assez rares à oser se frotter.
Il s’agit ici de donner vie à des marionnettes en les animant manuellement avant de porter tout cela sur écran. Un travail laborieux et chronophage, nécessitant parfois d’avoir recours à des solutions inattendues – comme utiliser du lubrifiant pour fabriquer des larmes – et dont le résultat force d’autant plus l’admiration.
Le détail qui change tout ?
A l’origine, Adam Elliot voulait réaliser Mémoires d’un escargot en noir et blanc, mais voilà, les investisseurs australiens étaient catégoriquement contre cette idée. « Je pensais que c’était possible de faire des projets très excitants de la sorte », a expliqué le réalisateur australien dans un récent entretien accordé à Cnews. « Je pense à The Artist ou La Liste de Schindler, même des films d’animation ont été faits comme ça, Tim Burton a fait Frankenwinnie par exemple. Il n’y a rien de mal avec le noir et blanc ! », assure-t-il.
Contraint de changer de direction, le cinéaste a donc opté pour une palette différente, qui fait finalement l’une des grandes forces du film. « J’ai proposé du marron. C’est un marron assez chaud, il y a du rouge, du jaune, du gris. Je l’ai choisi parce qu’en Australie, le marron était une couleur très populaire dans les années 1970 : les gens peignaient leurs maisons dans cette couleur, l’utilisaient pour leur sol, etc ».
Par ailleurs, le marron s’est également imposé comme une évidence par rapport au ton de l’histoire, qui se voulait souvent douloureuse et ombrageuse, mais jamais totalement désespérée. « J’ai utilisé l’opportunité de mettre de la couleur comme un véritable outil : la palette correspondait à l’état d’esprit des personnages. Quand Grace est à Canberra, c’est un marron presque beige, assez triste parce que c’est une période ennuyeuse de sa vie. Au contraire, à Melbourne, c’est plus sombre, plus chaud, il y a du noir. A Perth, c’est encore une autre teinte ».
C’est donc un travail de réflexion titanesque qui a été fait autour du marron, afin d’offrir une ambiance et un sens particulier à chacune des tranches de vie présentées dans le film. Toutes n’ont pas impacté l’existence de Grace de la même manière et c’est pourquoi ces variations sont aussi essentielles. A noter que certaines couleurs n’apparaissent d’ailleurs pas du tout dans le film, comme le vert et le bleu.
Mémoires d’un escargot sort au cinéma le mercredi 15 janvier 2025.
Alexia Malige
Journaliste - Secrétaire de rédaction