Ma famille afghane : Michaela Pavlátová, « Le film parle avant tout d’humanité, de courage et de tolérance » (INTERVIEW)
Publié le Par Alexia Malige
Récompensé par le Prix du Jury au festival international du film d’animation d’Annecy, Ma famille afghane suit le quotidien d’une jeune Européenne, partie vivre à Kaboul après avoir épousé un Afghan. Un film adapté du roman de Petra Procházková qui décrit avec force et émotion la culture et les traditions d’un pays principalement connu pour ses dangers. Rencontre avec la réalisatrice tchèque Michaela Pavlátová.
Après un coup de foudre sur les bancs de l’université, Herra et Nazir se promettent l’éternité et s’envolent pour l’Afghanistan. Lui est un enfant du pays, elle une jeune femme tchèque, contrainte au dépaysement par amour. Plongée dans un univers étranger et bien différent de ce qu’elle a connu jusque-là, la jeune mariée va alors découvrir une nouvelle existence auprès de sa belle-famille haute en couleur et d’un pays fort en traditions.
Qu’est-ce qui vous a amenée à adapter Freshta, le roman de Petra Procházková pour le cinéma ?
C’est le livre en lui-même ! Je l’ai acheté par hasard, je l’ai lu tout de suite après dans le train et je suis immédiatement tombée amoureuse du personnage principal. Elle a beau être bien plus courageuse que moi, je me suis en quelque sorte identifiée à elle. Grâce à Herra, j’ai pu me retrouver au plus proche d’une famille afghane, dans un milieu que je n’aurais jamais pu découvrir d’une autre façon. Ça a été très surprenant ! C’est une partie du monde que l’on considère comme dangereuse. On entend seulement des informations concernant des attaques, des bombardements, ce qui est, bien sûr, une réalité, mais le livre propose le quotidien d’une famille et vous lui trouvez donc des similarités avec la vôtre, en Europe. Pour moi, cela était réellement fascinant et c’est aussi ce que je voulais montrer dans le film.
La deuxième chose qui m’a poussée à choisir cette œuvre, c’est que je cherchais un script ou un roman sur un personnage féminin intéressant. Et, il se trouve que des scénaristes avaient déjà proposé l’adaptation de Freshta aux producteurs de Negativ. Leur projet n’avait pas pu se faire tel qu’ils l’imaginaient, mais le script était là, tout prêt. J’ai d’ailleurs réalisé que ce n’était pas une coïncidence si j’avais choisi ce livre-là, le titre me semblait tout simplement familier, car j’en avais déjà entendu parler !
Comment s’est passée l’adaptation ? Avez-vous fait beaucoup de modifications par rapport à l’histoire originelle ?
On est resté très proche du roman, mais il y a tout de même eu de nombreux changements. Le livre est écrit comme une mosaïque. Il raconte le quotidien de plusieurs personnages, commenté par Herra avec son point de vue européen, et c’est justement ce qui fait le charme de cette œuvre. Cependant, il a fallu construire un arc narratif à partir de cette mosaïque et nous avons dû éliminer de très jolis petits détails. Ça aurait été génial de pouvoir les inclure dans le film, mais si l’on en garde trop, l’histoire perd en fluidité. L’adaptation consiste avant tout à simplifier. Simplifier l’histoire, mais également le nombre de personnages.
Concernant le titre (My Sunny Maad en VO), je n’ai pas eu l’impression que le personnage principal était Freshta en lisant le livre, mais Herra. A l’origine, je voulais donc que le film s’appelle Herra. Seulement, dans certains pays comme la France, ce titre n’aurait pas fonctionné, car les gens ne savent pas prononcer le H. J’ai alors pensé qu’il serait intéressant de mettre Maad en avant, car il apparaît comme un petit miracle qui vient de l’extérieur et qui bouscule les choses. Puis, le distributeur français a choisi Ma famille afghane et je pense que ce titre est vraiment parfait, parce qu’ il donne une réelle idée de ce dont le film va parler.
En tant que femme européenne, comment avez-vous réussi à réaliser un film dépourvu de haine et de colère sur un sujet aussi délicat ?
Je pense que la réponse est très simple. Réaliser Ma famille afghane a pris tellement de temps… J’ai été en colère contre ces hommes, mais c’était il y a 4 ou 5 ans. Ensuite, lorsqu’on a fait le script, qu’on l’a divisé en scènes et que l’on a entamé le processus d’animation, je n’étais plus autant impliquée émotionnellement. C’est aussi pour cela que c’est si important de tout préparer au début, quand on est encore frais et que l’on ressent les choses.
Il y a des hommes violents partout, mais là-bas, cette violence est en quelque sorte acceptée. Et cela est très dur. Lorsque Nazir évoque des femmes qui ont été tuées parce qu’elles avaient parlé aux invités de leur mari, pour nous c’est insupportable, mais pour eux, c’est normal. Ils ne trouvent pas ça étrange. Mais que ce soit en Europe ou en Afghanistan, je pense qu’il y a toujours différents pans d’une société. Certains sont primitifs et l’on ne peut pas du tout les accepter, mais d’autres sont justes composés de gens éduqués, de gens normaux, de gens qui veulent du changement. On ne peut pas dire : « Les Afghans sont comme ça ». Donc c’est difficile de trouver un équilibre, des nuances et de raconter le film sans juger. On ne peut pas arriver dans un autre pays et dire : « Hey, il faudrait évoluer ». Il faut être humble et réaliser que le changement prend du temps.
Quand vous avez lu le livre, aviez-vous déjà une idée du visage que vous souhaitiez donner aux personnages ?
Non, c’est venu bien plus tard. Quand j’ai lu le livre, je ne pensais pas à ça. Mais lorsque je me suis intéressée au design, je voulais le faire simple, comme une esquisse, ce qui était vraiment dur. Quand vous devez préparer les personnages pour les animateurs, vous devez préciser exactement ce que vous voulez. Il faut les dessiner dans toutes les positions et avec toutes sortes d’émotions différentes. C’est plus facile quand le personnage est bien défini. Si vous dites simplement : « Je veux que ce soit dans un style croquis », ils ne savent pas exactement quelle direction prendre. Il y a donc eu plusieurs étapes pour les visuels.
Au début, c’était mon style. C’était simple et brouillon, dessiné rapidement. Mais quand j’ai vu que c’était difficile pour les autres de travailler là-dessus, je me suis dit que les personnages devaient avoir l’air plus réalistes. C’est alors que j’ai réalisé que c’était encore pire pour les animateurs. Puis la troisième étape est arrivée. Les producteurs du film m’ont dit : « Ok Michaela, on a l’impression que ce n’est déjà plus toi. Redessine tout, dans ton style ». J’ai tout recommencé dans le week-end, puis les animateurs étaient finalement contents.
Qu’espérez-vous que les gens retiennent de Ma famille afghane ?
J’aimerais que les gens soient touchés. Je voudrais qu’ils ouvrent leur cœur, qu’ils embrassent l’univers. Ce que je dis peut sembler ridicule, mais je le pense vraiment. La tolérance est difficile, mais il faut essayer de faire de son mieux. C’est encore plus dur quand vous êtes tolérants et que les autres ne le sont pas du tout. La vie n’est pas facile. Nous ne sommes pas des idiots souriants, qui crient « Je vous aime, je vous aime », mais lorsque l’on dit : « Nous voulons la paix dans le monde », je crois bien que c’est ce que nous voulons tous au fond.
Cependant, ce n’est pas nécessaire que les gens retiennent un seul message fort du film, car il n’y en a pas qu’un. Chacun y trouvera quelque chose de différent. C’est avant tout à propos d’humanité, de courage et de tolérance. Parfois, il y a simplement besoin de mots simples.
Retrouvez le palmarès complet du festival international du film d’animation d’Annecy.
Alexia Malige
Journaliste - Secrétaire de rédaction