Pachinko : Soo Hugh, « L’histoire de Sunja fait écho à l’expérience de tant de personnes et ce que leurs familles ont traversé » (INTERVIEW)
Publié le Par Thilda Riou
Adapté du best-seller éponyme, Pachinko retrace en toute intimité les espoirs et rêves d’une famille d’immigrants coréens sur quatre générations, alors qu’ils quittent leur pays, en quête de survie et d’épanouissement. Serieously s’est entretenu avec l’équipe de la série, disponible à partir du 25 mars sur Apple TV+.
Dans les salons de Pachinko, un jeu d’arcade d’origine japonaise, la chance – certains diront le destin – joue un rôle central. Bien que les joueurs aient l’impression d’avoir la main sur le jeu en déplaçant les petites billes en métal, un simple pré-réglage sur les machines permet aux gérants du parloir de modifier la probabilité de gain. Si tirer le levier est un choix, ce qui advient est entièrement indépendant de la volonté des joueurs.
C’est cette illusion qu’on retrouve au coeur de Pachinko, nouvelle série d’Apple TV+. Adaptée du roman éponyme de Min Jin Lee, on y suit l’histoire de Sunja qui commence au début du XXème siècle, lorsque la Corée du Sud est occupée par les Japonais. La particularité de la série réside toutefois dans sa structure, puisque celle-ci est racontée à travers plusieurs récits parrallèles — du voyage de Sunja vers le Japon lorsqu’elle est jeune femme jusqu’au parcours de son petit-fils, Solomon, dans les années 1980. A l’occasion de sa sortie, Serieously a pu s’entretenir avec Soo Hugh (créatrice de la série), Kogonada et Justin Chon (réalisateurs), ainsi que Theresa Kang-Lowe et Michael Ellenberg (producteurs délégués).
Pourquoi était-il important pour vous de montrer cette histoire à l’écran ?
Soo Hugh : Le livre était tout simplement extraordinaire ! J’ai l’impression que l’histoire de Sunja est une histoire que nous n’avons jamais vue auparavant. Et pourtant, elle fait écho à l’expérience de tant de personnes et de ce que leurs familles ont traversé. A un niveau personnel, [cette série] est en quelque sorte un hommage à ma famille et à leurs sacrifices. Un cadeau à mes parents.
Avec la popularité croissante du cinéma coréen, des K-dramas et de la K-Pop en Occident, la culture coréenne fait le tour du monde. Pourtant, on ne connaît pas toujours l’Histoire entre la Corée du Sud et le Japon.
Soo Hugh : Oui, je connaissais les grandes lignes de l’Histoire, mais je ne connaissais pas les détails. Et je pense qu’il est important, pas seulement concernant l’Histoire de la Corée ou du Japon, mais pour tous les pays, que nous n’oublions pas le passé. Pachinko est une œuvre de fiction, ce n’est pas un film documentaire, mais si les gens apprennent à connaître cette période de l’Histoire en regardant la série, cela est assez incroyable à mes yeux.
Tout au long de la série, les personnages parlent en coréen, en japonais et un peu en anglais. Était-ce un choix évident, sachant que la série serait diffusée sur une plateforme de streaming américaine ?
Michael Ellenberg : C’était évident pour nous que cela devait se faire de manière authentique. Dans le passé, on aurait pu penser – peut-être d’un point de vue américain, que l’on pouvait faire la série en anglais. [Quand nous en avons discuté], c’était avant que Parasite ne décolle aux États-Unis, et même avant Crazy Rich Asians. Mais nous pensions que ce serait malhonnête et faux. Dans la série, la langue n’est pas seulement une question de traduction et de mots. C’est une question d’identité. Jin Ha, qui joue Solomon, a porté le plus gros fardeau en termes de langue. Il parlait déjà anglais, coréen et un peu japonais, mais il a travaillé très dur pour maîtriser parfaitement ses textes en japonais. La langue devait refléter la lutte identitaire que traversent tous les personnages.
Nous suivons Sunja à travers son enfance (Yu-na Jeon), sa jeunesse (Min-ha Kim) et sa vie de retraitée (Yuh-jung Youn). Comment s’est déroulé le casting, afin de trouver les actrices pour incarner les différentes versions de Sunja ?
Kogonada : Il s’agissait vraiment de trouver l’essence de Sunja – d’essayer de trouver la meilleure Sunja pour capturer chaque période. La ressemblance [physique] est venue en dernier lieu, je ne pense même pas que c’était une très grande préoccupation. Yuh-jung Youn est une actrice légendaire, mais les deux autres étaient des découvertes. Il y avait tellement de jeunes actrices coréennes incroyables qui voulaient ces rôles, mais celles [que nous avons choisies] étaient spéciales. [Yu-na Jeon] avait un sens tellement mature de son personnage, et Min-ha était incontestable.
Contrairement au livre, la série fait des allers-retours entre les quatres générations. Était-ce un challenge de construire l’histoire autour de cette structure ?
Theresa Kang-Lowe : Soo [Hugh] a eu l’idée de remplacer l’histoire linéaire du livre par un récit où deux ou plusieurs générations se parlent symboliquement, dans chaque épisode. Il y a quatre ans, il était déjà très difficile de vendre une série avec un casting entièrement asiatique et en trois langues, dont deux asiatiques, donc il y avait de nombreux défis. Mais les réalisateurs ont fait un incroyable travail.
Lorsque le sujet des tensions entre la Corée du Sud et le Japon est abordé dans la série à l’époque des années 1980, certains personnages qualifient celles-ci comme appartenant au « passé ». Était-il important pour vous de représenter la population qui partage cette Histoire ?
Justin Chon : Je pense que l’Histoire est l’Histoire. Mais ce dont je suis incroyablement fier dans notre série, c’est que chaque personnage est tridimensionnel. Aucun de ces personnages n’est une sorte d’archétype à deux facettes. Ce sont de vraies personnes avec de vrais soucis, et je pense qu’il y a de belles représentations, de tout le monde.
Quel est le message que vous espérez que le public retienne de Pachinko ?
Soo Hugh : Je pense qu’il y a un.e Sunja dans chaque famille. Si vous regardez votre arbre généalogique et que vous interrogez vos parents ou grands-parents — que vous remontez peut-être à une génération, voire quatre ou cinq — il y aura cette personne qui est partie de rien et qui a construit une famille. Ce que j’aimerais que les gens fassent après avoir vu la série, c’est appeler leur famille et dire : « Je comprends ». C’est ce que j’ai vécu avec ce livre et ma famille, et je pense que c’était très puissant.
Kogonada : C’est une histoire très spécifique sur un moment en Corée, mais c’est aussi une histoire à laquelle tout le monde peut s’identifier. C’est encore ce que nous vivons aujourd’hui, avec des personnes qui doivent être déplacées [de leur pays, ndlr]. L’histoire que nous racontons porte sur ce que signifie survivre et endurer.
Retrouvez Pachinko à partir du 25 mars sur Apple TV+.
Thilda Riou
Journaliste