Michael K. Williams : "The Wire est encore plus pertinente aujourd'hui avec le climat politique aux USA"

Michael K. Williams : « The Wire est encore plus pertinente aujourd’hui avec le climat politique aux USA »

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A l'occasion de la première édition de CANNESERIES, Serieously a rencontré Michael K. Williams lors d'une table ronde. Membre du jury du Festival, l'ancien acteur de The Wire et Boardwalk Empire s'est confié sur sa carrière, ses rôles et le contexte politique du moment.

Quelle différence majeure avez-vous remarqué entre être acteur dans un film et l’être dans une série ?

Michael K. Williams : Il y a quelques petites différences. Avec la télévision on a plus de temps pour construire le personnage et l’histoire autour de lui. On peut avoir plusieurs années pour le développer, le voir évoluer. Pour un film, c’est seulement 90 minutes. Personnellement, ça ne m’affecte pas vraiment dans mon travail, j’utilise à chaque fois la même méthode.

Qu’est ce que vous recherchez en priorité dans un personnage ?

Les personnages brisés me plaisent d’avantage que les autres, ces hommes qui ont de nombreux défauts, qui ont une vraie part sombre. Evidemment, ce qui attire au premier coup d’oeil c’est l’écriture du personnage, de l’histoire dans laquelle il se retrouve. Quand on est acteur, c’est évidemment le scénario qui prime sur le reste, et quand je peux incarner un personnage brisé, je fais tout pour avoir le rôle.

Comment définiriez-vous la rencontre entre votre personnalité et l’écriture de David Simon pour Omar dans The Wire ?

Ce rôle a lancé ma carrière, avant The Wire je faisais des petites apparitions dans différentes séries, policières notamment, donc je changeais de personnages à chaque fois. C’était difficile pour moi de m’adapter à jouer ce même personnage, surtout quand une saison 2 de The Wire est arrivée, je ne savais pas ce que je pouvais apporter de plus à Omar, et David Simon m’a dit : « Mais pourquoi tu ne fais pas la même chose ? Utilise ce que tu as fait de ce personnage lors de la saison 1, et continue ». Dans ma communauté, Omar représentait tout ce qui est considéré comme faible. Il ne vendait pas de drogue, il ne se droguait pas, ne portait pas de beaux vêtements, ne conduisait pas de belles voitures et il était homosexuel. Il ne faisait pas partie des gens « cool » de cette communauté. Dans ma jeunesse, moi même je n’étais pas cool, j’étais mal à l’aise avec les filles, dans notre famille on ne se laissait pas définir par les vêtements qu’on portait. On s’est beaucoup moqué de moi, et j’ai utilisé toute cette expérience pour construire mon personnage. Et voilà que ces mêmes personnes qui m’emmerdaient plus jeunes, glorifient Omar. Ce personnage m’a donné l’opportunité de me dire « c’est ok d’être moi-même ».

Pourquoi The Wire est aujourd’hui encore considérée comme la meilleure série ?

Parce que le sujet est toujours aussi pertinent, et encore plus aujourd’hui avec le climat politique aux Etats-Unis. J’aime dire que David Simon et Ed Burns ont créé de l' »edutainment » (contraction entre éducation et divertissement, ndlr). La série plonge profondément dans ce qui ne va pas dans notre société. De la police au système éducatif en passant par la loi et ceux qui la font. C’est une vision très honnête des choses, et surtout ce n’était pas les gentils contre les méchants, c’était l’histoire de personnes qui font tout ce qu’il peuvent pour survivre dans ce monde. Ce n’était pas manichéen. J’ai rencontré des policiers, des trafiquants de drogues, etc et ils étaient tous d’accord sur le fait que The Wire était brutalement honnête et tapait dans le mille. Et je dois avouer que le fait qu’elle soit encore pertinente aujourd’hui est un peu triste.

Comment ce serait si The Wire sortait aujourd’hui ?

Si The Wire était lancé aujourd’hui ? Mon Dieu. Ca aurait été un tsunami. A l’époque il n’y avait pas de réseaux sociaux, ni Twitter, ni Instagram, tout ces outils là qui servent à communiquer et diffuser des messages. C’était une époque à Hollywood où on se demandait où étaient les acteurs et actrices noir(e)s, et David Simon disait : « En voilà quelques uns là ». Et quand on a pu montrer notre talent, les gens pensaient qu’on nous avait récupéré dans la rue et qu’on jouait nous même, qu’on ne jouait pas un rôle. Alors aujourd’hui, une sortie de The Wire aurait été explosive.

J’ai entendu dire que vous êtes resté un long moment dans la peau d’Omar… Si c’était à refaire vous le referiez ?

Non, je ne le ferais pas. Et quand je l’ai fait ce n’était pas intentionnel, je ne savais pas ce que je faisais. Je me souviens l’un des tournages des premiers épisodes, je suis arrivé pour répéter dans le costume d’Omar, et la sécurité pensait que j’étais quelqu’un qui venait de la rue et qui voulait rentrer sur le tournage. Je leur ai dit que non, j’étais un acteur sur la série, donc il m’ont laissé dans un couloir abandonné, où personne ne passait sauf les rats. Au moment de l’appel pour aller mangé, ils m’ont complètement oublié là. Et j’ai trouvé ça bizarre qu’ils ne revenaient pas me chercher. J’ai quand même choisi de rester là où j’étais pendant 2h, jusqu’à ce qu’ils reviennent. Et quand ce fut le cas, j’étais devenu un animal, et ça m’a aidé à construire Omar. J’étais devenu Omar, je m’étais perdu dans cette personne très sombre. Mais je ne sais pas si c’était bon pour ma santé (rires).

Votre personnage dans Boardwalk Empire ressemble à Omar, comment avez-vous fait pour qu’il n’en devienne pas une copie ?

C’était la règle numéro 1 quand il a fallu entrer dans le rôle de Chalky, les séparer complètement. Mais dans la réalité je suis persuadé qu’ils pourraient être de la même famille. Parce qu’ils ont beaucoup de points communs. Ce qui m’a permis de vraiment les différencier c’était l’époque dans laquelle vivait Chalky. Avec Omar je pouvais aller piocher dans ma vie personnelle, avec lui ce n’était pas possible. J’ai été cherché des informations sur les membres de ma famille qui ont vécu dans les années 20, dans mes souvenirs que j’avais d’eux dans ma jeunesse. La façon dont il s’habille, avec classe, et son comportement avec les femmes je l’ai pris de mon père, sa façon d’éduquer ses enfants est venue de mon oncle, et ce regard qu’il a quand il est prêt à tuer quelqu’un, ça vient de mon autre oncle, qui a vraiment tué un homme qui l’avait insulté de n****.

Êtes-vous autorisé à construire un personnage de vous même ou de le changer par rapport à l’écriture des scénaristes ?

Je pense qu’un bon réalisateur ou scénariste l’encouragerait. Surtout à la télévision. Je veux dire, c’est la vie. On grandit, on évolue, on change d’opinion, nos humeurs. C’est un comportement humain. Et c’est justement la beauté de la télévision : on a le temps de montrer ces changements de personnalité, cette évolution du personnage ou même son déclin.

Propos recueillis par Romain Cheyron

Romain Cheyron

Romain Cheyron

Journaliste

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