Focus sur… Amy Sherman-Palladino et son Amérique (presque) idyllique
Publié le Par Eliott Azoulai
Chaque mois, Serieously met à l’honneur un showrunner et décrypte ses oeuvres séries. Place aujourd’hui à Amy Sherman-Palladino, la femme qui a donné vie aux Gilmore Girls et à The Marvelous Mrs. Maisel !
Focus sur…, c’est ton rendez-vous mensuel sur Serieously ! Chaque mois, la rédac s’intéresse à un(e) showrunner/euse de séries et son oeuvre. Pour notre deuxième numéro, c’est Amy Sherman-Palladino qui est à l’honneur.
Ses oeuvres : Gilmore Girls, Bunheads, The Marvelous Mrs. Maisel
Ses muses : Lauren Graham et Alexis Bledel (Gilmore Girls), Kelly Bishop (Gilmore Girls, Bunheads), Rachel Brosnahan (The Marvelous Mrs. Maisel), Alex Borstein (Gilmore Girls, Bunheads, The Marvelous Mrs. Maisel)
Comment dépeint-elle une Amérique (presque) idyllique dans ses séries ?
Quand on me demande dans quelle série j’aimerais vivre, je réponds souvent « Gilmore Girls ». L’univers créé par Amy Sherman-Palladino symbolise le cocon rêvé pour des millions de fans. Stars Hollow, cette petite ville (fictive) du Connecticut, semble coupée du reste du monde et en même temps regroupe tout le nécessaire pour vivre confortablement. Entre simplicité et excentricité, entre réalisme et utopie, entre nostalgie et tendances pop, entre comédie et drame, Gilmore Girls n’est pas juste une série, c’est un art de vivre. Et ça, Amy Sherman-Palladino en a fait sa pâte sérielle : qui n’a pas envie de rejoindre l’univers frais et coloré d’un Marvelous Mrs. Maisel ? Le monde tendre et attachant de Gilmore Girls ? Ou même la Paradise Dance Academy d’un Bunheads ?
C’est à l’automne 2000 que la chaîne américaine The WB, l’ancêtre de la CW, diffuse le tout premier épisode de Gilmore Girls. Une série narrant le quotidien d’une mère et sa fille adolescente, Lorelai et Rory Gilmore, dans la petite ville de Stars Hollow. Leur mode de vie est à mille lieues d’Emily et Richard Gilmore, parents de Lorelai, des bourgeois dans toute leur splendeur. Notre héroïne est tombée enceinte à l’âge de 16 ans et a décidé de quitter le domicile familial pour élever Rory à sa façon. Lorelai a toujours refusé de vivre comme ses parents, entourés de serviteurs et habitués des soirées mondaines. Déjantée, sarcastique, mordue de pop culture, Lorelai Gilmore a trouvé une ville à son image en Stars Hollow. Ou plutôt, une ville dans laquelle chacun est libre d’être lui-même. C’est là le point de départ de l’oeuvre d’Amy Sherman-Palladino et de son époux Daniel Sherman-Palladino.
Des héroïnes en quête d’identité
Que ce soit à la suite d’un divorce (The Marvelous Mrs. Maisel), de la perte d’un être cher (Bunheads) ou tout simplement en pleine adolescence (Gilmore Girls), on retrouve chez les héroïnes de Sherman-Palladino cette recherche de soi-même, ce besoin d’avancer, ce désir d’émancipation et parfois de rébellion. Ces femmes qui ont toujours fait les choses dans les règles veulent désormais s’écouter, quitte à bousculer les normes sociales. Qui aurait imaginé qu’une femme divorce et se concentre sur sa carrière à la fin des années 50 ? Ou qu’une élève modèle interrompe ses études dans la prestigieuse université de Yale ? Et pourtant, quand on les écoute parler, les personnages mis en scène par Sherman-Palladino semblent clairement savoir ce qu’ils veulent : dialogues mitraillés à cent à l’heure, phrases teintées d’humour et de finesse, références pop par-ci par-là… C’est le charme des œuvres Sherman-Palladino, un style qui peut en rebuter certains au premier abord, mais a fait ses preuves. Une écriture pétillante et savoureuse qui traduit une vraie détermination pour chacune de ses héroïnes.
Le ton léger, frais et surtout humoristique des séries d’Amy Sherman-Palladino est l’une des clés de leur succès. À commencer par Gilmore Girls et les sarcasmes de cette chère Lorelai. Elle qui a évolué dans un schéma familial très strict, snob et traditionnel a pris du recul face à tout ça, faisant de l’humour sa meilleure arme de défense. On ne saurait compter le nombre d’interactions entre Emily et Lorelai où cette dernière fait preuve d’autodérision, au grand dam de son aînée qui ne capte pas toujours…
L’utilisation de l’humour comme arme de défense connaît son apothéose dans The Marvelous Mrs. Maisel, autant sur le fond que sur la forme, puisque l’héroïne Midge Maisel devient une reine du stand-up. Si c’est par le plus grand des hasards qu’elle monte sur scène la première fois, trompée et larguée par son époux, Midge y découvre un véritable moyen d’expression. C’est simple, elle est une autre personne sur scène : plus libérée, plus extravertie, et le public adore ! Elle dit tout haut ce qu’elle pense tout bas face à de parfaits inconnus, et se lâche au point de montrer ses seins lors d’une scène (déjà) culte. L’humour est la meilleure défense pour Midge Maisel et, à travers elle, Amy Sherman-Palladino puisqu’on retrouve un vrai message politisé dans ses scénarii. Un véritable f*ck aux hommes blancs misogynes, sexistes, machistes (on ne citera pas de nom).
Derrière leur côté feel-good et bienveillant, que les mauvaises langues jugeront peut-être naïf, les oeuvres d’Amy Sherman-Palladino sont une observation de la société américaine. À mi-chemin entre tradition et modernité, peu importe le cadre spatio-temporel, nos protagonistes (féminins) assument et revendiquent leurs choix de vie progressivement, ce qui débouche sur des conflits avec leurs proches. On se souvient par exemple, dans Gilmore Girls, du dédain d’Emily envers Jess, le neveu voyou de Luke appartenant à une classe sociale inférieure, quand Rory le ramène à un dîner de famille. La ville de Stars Hollow est un vrai melting pot de la société, à tel point que les échelons sociaux s’effacent. Vous pouvez chercher sur vos maps, cette ville « rêvée » n’existe (malheureusement) pas dans la vraie vie ! Dans The Marvelous Mrs. Maisel, l’association entre Midge issue de la bourgeoisie juive new-yorkaise et Suzie issue d’une classe défavorisée, est au centre de l’intrigue. Ce duo tout autant explosif qu’improbable crève l’écran.
Notre scène coup de ❤️
En voyage à Paris, Midge fait une prestation mémorable sur la scène d’un bar. Notre héroïne est surprise de voir que les moeurs ne sont pas tout à fait les mêmes ici qu’aux États-Unis. Quoi qu’il, sa franchise, son culot, son naturel et son discours progressiste génèrent l’admiration et l’hilarité du public.
Qui a dit que twists et rebondissements étaient nécessaires pour faire une bonne série ? Certainement pas Amy Sherman-Palladino ! Le charme de ses oeuvres repose avant tout sur des univers pittoresques, à la limite de l’utopie, dans lesquels évoluent des personnages authentiques et hauts en couleur, le tout accompagné de dialogues aussi riches sur le fond que sur la forme, avec un sous-texte à ne surtout pas négliger.
Eliott Azoulai
Journaliste