Calamity, une enfance de Martha Jane Cannary : 5 questions au réalisateur Rémi Chayé
Publié le Par Alexia Malige
Récompensé par le cristal du long-métrage au Festival international du film d’animation d’Annecy, Calamity, une enfance de Martha Jane Cannary a conquis le public avec humour et émotion. A l’occasion de la sortie du film en Blu-Ray et DVD, Serieously a pu échanger avec son réalisateur, Rémi Chayé. Rencontre.
En 1863, la famille Cannary rejoint un convoi en route pour l’Oregon. Veuf et en charge de ses trois enfants, le père se blesse et doit alors laisser les rennes à sa fille aînée, Martha Jane. Courageuse, intrépide et pleine de ressources, cette dernière va rapidement se mettre tous les pionniers à dos en se conduisant comme un garçon. Elle dirige la carriole, porte des pantalons, s’entraîne au lasso et monte les chevaux comme personne. Un comportement qui déplait énormément à sa communauté, qui va même aller jusqu’à l’accuser à tort de vol. Déterminée à prouver son innocence, la jeune fille s’enfuit donc avec son cheval et parcourt l’ouest américain afin de blanchir son honneur.
Pourquoi avez-vous eu envie de faire un film de Far West sur Calamity Jane ?
Je cherchais une idée pour un deuxième film, j’avais déjà quelques pistes et je suis tombé sur un documentaire sur la vie de Martha Jane Cannary. J’ai appris qu’elle avait fait la route de l’Oregon à 10 ans et, comme je fais des films pour enfants, je suis toujours intéressé par ce genre de choses. Un convoi au milieu des plaines américaines au XIXème siècle pour une gamine qui va devenir ensuite la légende que l’on connaît…La femme qui s’habille en homme, qui entre dans les saloons, qui tire au fusil, qui a une vue très subversive sur ce qu’est un homme, ce qu’est une femme, etc. Je me suis dit que je pourrais construire quelque chose là-dessus. J’ai très vite eu l’idée de ce père qui aurait un accident et d’elle qui serait poussée dans la vie des garçons. Il y avait vraiment plus l’idée du village sur roue et d’un film de convoi que d’un film de Far West ou d’un western.
Le film est-il entièrement romancé ou réellement basé sur des faits historiques ?
On a fait ça sérieusement. On a vraiment lu toutes les biographies que l’on a pu trouver sur Martha Jane Cannary et notamment celle de Richard W. Etulain, qui fait vraiment la part entre les mythes et la réalité. Il faut savoir que sa vie est un énorme nuage de mensonges. Elle ment, sa sœur ment, les lettres écrites à sa filles sont des faux, il y a des chansons sur elle…enfin, tout le monde s’est approprié son personnage d’une façon ou d’une autre. On s’est aperçu qu’il y avait néanmoins deux bornes historiques sur lesquelles ont pouvait compter : leur départ du Missouri et leur présence à Virginia City deux ans plus tard, après une ruée vers l’or et un hiver très dur. On s’est donc installé entre ces deux années et on a créé une fiction totale. On a tout inventé, tout imaginé, tout en essayant de rester le plus respectueux possible du personnage de Martha Jane Cannary et de toutes ses facettes. Son côté polyamoureux, son amour pour les militaires, ses mensonges, son courage et sa générosité, on a voulu restituer tout ce personnage complexe qu’on a découvert dans sa vie adulte, qui est un peu plus documentée que son enfance.
Comment avez-vous travaillé les paysages et les couleurs ?
Je suis allé dans le Kansas quand j’étais adolescent et ça n’est pas étranger à mon amour pour les grands espaces. J’y ai découvert cette espèce de gigantisme dans les paysages. J’ai des souvenirs de ciels absolument incroyables que l’on n’a pas ici. On s’est également beaucoup documenté. On n’a pas hésité à se servir de tous les outils d’aujourd’hui, des photos, du cinéma. On a même utilisé Street view pour avancer sur des routes et essayer de comprendre la topographie des vallées.
Ensuite, la façon dont on a abordé les couleurs était vraiment très différente de pour Tout en haut du monde. Ce film-là jouait beaucoup avec l’ombre et la lumière du fait qu’on était sur le haut du globe et qu’il y a beaucoup de diffraction. Là, on est parti sur l’idée de créer des lumières assez réalistes et très impressionnistes, avec de forts contrastes de couleurs très saturées. Patrice Suau, le directeur artistique, a donc mis toute son expérience de peintre au service du film en essayant de créer un vocabulaire de brillance, de saturation et d’effet de vibration des couleurs, que les impressionnistes utilisaient pour créer de la lumière sur leurs toiles. Il l’a fait en utilisant Photoshop, avec un univers entièrement digital, mais en allant toujours chercher des pigments naturels. Ce n’est jamais n’importe quel bleu, n’importe quel vert et l’ensemble du film ressemble donc à l’univers coloré de la peinture à l’huile traditionnelle.
Calamity, une enfance de Martha Jane Cannary questionne l’identité de genre et les droits des femmes, est-ce important pour vous de diffuser des messages engagés au travers de vos films ?
Je suis très en soutien de ces combats pour l’égalité homme femme et les sujets féministes m’intéressent beaucoup. J’ai trois sœurs et une maman qui s’est battue toute sa vie pour être respectée, donc ça m’a beaucoup influencé. Je pense que c’est au travers de petits films comme ça, qui sont des films d’aventure rigolos, que l’on peut passer des contre-modèles auprès des enfants. Moi, ce que j’aime, c’est raconter des histoires. Après, c’est vrai que dans le fond, il y a des questions comme « Qu’est-ce que c’est qu’être une fille ? » et « Qu’est-ce que c’est qu’être un garçon ». Est-ce qu’on interroge ça ? Et quel est le prix qu’on fait payer aux gens qui veulent passer la frontière de ces représentations-là ? Il y a des filles qui sont brusques, il y a des filles qui ont un plus gros nez, toutes les filles ne sont pas des princesses, elles n’attendent pas toutes le prince charmant…et j’espère pouvoir comme ça, donner des modèles alternatifs à des petits garçons ou des petites filles.
Après l’aventure Calamity, quel nouveau projet préparez-vous ?
Actuellement, je travaille avec Fabrice de Costil et Sandra Tosello sur le destin d’une enfant de la Zone. On se retrouve donc à Paris, au début du XXème siècle dans ce glacis défensif qui faisait partie des fortifications de Thiers. C’est ce qui est devenu le périph maintenant et c’était, à l’époque, un no man’s land qui ne devait pas être construit, afin que les soldats qui attaqueraient puissent être visibles pour les défenseurs. Au fur et à mesure, il y a eu des autorisations, des tolérances pour des roulottes, pour des cabanes, pour des jardins ouvriers, puis ça s’est densifié. C’est devenu une nébuleuse de bidonvilles tout autour de Paris. Ces quartiers faisaient peur, il y avait des bandes de voyous et c’était devenu un fantasme de la pauvreté grouillante pour les bons bourgeois de la capitale. C’était très stigmatisant de sortir de là avec sa propre culture, son propre langage, un côté presque bucolique à certains endroits. On a alors décidé de raconter l’histoire d’une gamine qui vient de là et qui veut sortir de sa condition en essayant de devenir chanteuse et autrice. Ce sera donc un film un peu plus social que les deux précédents.
Le film Calamity, une enfance de Martha Jane Cannary est disponible en DVD et Blu-Ray depuis début avril.
Alexia Malige
Journaliste - Secrétaire de rédaction