Alerte Rouge : Domee Shi et Lindsey Collin, « Le panda roux était parfait pour raconter cette histoire » [Interview]
Publié le Mise à jour le Par Alexia Malige
Nouveau film d’animation des studios Pixar, Alerte Rouge débarque sur Disney+ en ce vendredi 11 mars. L’occasion pour Serieously de s’entretenir avec la réalisatrice Domee Shi et la productrice Lindsey Collin.
Direction Toronto au début des années 2000 ! Mei, une jeune fille sino-canadienne mène une vie d’adolescente parfaitement exemplaire. Ses résultats scolaires sont excellents, ses amitiés solides et ses relations avec ses parents au beau-fixe. Tout va donc pour le mieux dans le meilleur des mondes, jusqu’à ce qu’elle se réveille un beau matin dans la peau d’un panda roux géant. Une nouvelle apparence physique étonnante qui résulte d’une malédiction portée par toutes les femmes de sa famille.
Loin d’être évident à maîtriser, le panda vit en fonction des émotions de Mei. La colère lui donne de l’ampleur, alors que le calme le fait disparaître. L’héroïne va donc devoir apprendre à apprivoiser cette nouvelle facette d’elle-même afin de pouvoir grandir et devenir la femme accomplie qu’elle espère être un jour.
Domee, vous avez grandi à Toronto dans une famille d’origine chinoise, tout comme Mei dans Alerte Rouge. A quel point ce film est-il inspiré de votre propre vie ?
Lindsey Collin : 99,9%… Non, je plaisante ! (rires)
Domee Shi : Oui, peut-être…mais je ne me transforme pas en panda roux géant. J’aurais rêvé de pouvoir le faire cela dit (rires) ! L’inspiration pour Alerte Rouge est clairement venue de mon propre vécu. Il s’agit de mon expérience en tant qu’adolescente insolente et un peu intello du début des années 2000, qui traverse de grands changements dans son corps, ses relations, ses amitiés. Je voulais creuser un peu plus profond dans cette période de ma vie et comprendre ce qu’il s’était passé à ce moment-là. Pourquoi est-ce que je me sentais comme ça ? Pourquoi est-ce que je me disputais avec ma mère tous les jours ?
Pourquoi avoir choisi le panda roux pour parler de la puberté ? Avez-vous une connexion spéciale avec cet animal ?
DS : J’aime à le penser. J’ai toujours adoré les panda roux, je les trouve trop mignons ! Nous avions besoin d’une métaphore visuelle fun et unique pour parler de l’adolescence et nous avions le sentiment que le panda roux était l’animal parfait pour cela. C’est poilu, c’est maladroit et surtout, c’est rouge, ce qui est pour moi la couleur de la puberté.
C’est la couleur des règles, la couleur que vous avez quand vous vous mettez en colère, que vous êtes embarrassée au point que vous voulez mourir ou que vous êtes pleine de désir pour votre béguin du collège. Le rouge symbolise également la chance dans la culture chinoise. Il y avait donc vraiment beaucoup d’éléments qui faisaient que le panda roux était parfait pour raconter cette histoire-là.
La relation de Mei avec son panda est différente de celle que les autres femmes de sa famille entretiennent avec le leur. Etait-ce une manière d’illustrer l’évolution de la condition féminine dans la société ?
DS : Exactement ! Le fait que Mei soit la première de sa famille à conserver son panda roux est très significatif et nous avons essayé de montrer sans aucun jugement la manière dont ses tantes, sa mère et sa grand-mère ont choisi de se débarrasser du leur. Elles sont issues d’une autre génération et elles étaient obligées de se séparer de leur panda pour survivre. Mei vit avec ses amies dans un monde doté d’un système qui les soutient, ce qui n’était pas le cas de ses aînées. Donc elle a la possibilité d’accepter son panda et de profiter de toutes les qualités qui viennent avec lui, ce qu’elles n’ont pas eu l’opportunité de faire. Néanmoins, elles soutiennent sa décision.
LC : La partie sympa de l’histoire, c’est toute cette dimension intergénérationnelle. Dans toutes les générations, si nous faisons notre boulot correctement, on trace la route pour celles d’après. Cela est vrai pour les femmes aujourd’hui, panda ou non. Si vous regardez la génération de votre grand-mère, puis celle de votre mère, puis la votre, vous voyez que chaque fois, les limites sont repoussées et que les femmes obtiennent davantage de droits et de libertés pour la génération à venir.
Avec Bao, vous étiez la première femme à réaliser pour Pixar. Ici vous êtes à la tête d’un projet encore plus important. Qu’avez vous ressenti en travaillant sur Alerte Rouge et était-ce important pour vous de travailler avec une équipe de femmes ?
DS : C’est une très grande responsabilité d’être en charge d’un long-métrage. Et, sachant que j’allais être la première femme à réaliser en solo, je me suis mis encore plus de pression que d’habitude.
LC : Je pense qu’il y avait une tonne de soutien pour cette exacte raison. Tout le monde était très enthousiaste !
DS : J’étais excitée aussi ! J’étais heureuse de pouvoir enfin jouer dans la cour des grands, de raconter des histoires plus profondes et complexes et de travailler avec des artistes incroyables. Je savais dès le départ que je ne pouvais pas être la seule femme asiatique sur ce film et c’était important pour moi de trouver des collaborateurs sur lesquels je puisse compter et qui comprennent parfaitement la perspective asiatique du film.
Ça a donc été génial de pouvoir travailler avec la scénariste Julia Cho, qui est américano-coréenne, mais aussi Rona Liu, notre conceptrice de production, qui était en charge de l’esthétique du film. J’avais simplement l’impression que je pouvais leur faire confiance, même quand je n’étais pas là pour m’assurer que tout semblait authentique. Elles pouvaient également proposer de nouvelles idée, car je ne représente qu’un seul point de vue et c’était intéressant d’avoir des regards différents sur cette expérience.
Souvent dans l’animation, les mères sont dépeintes comme sévères et assez dures… Pourquoi avoir choisi de montrer ce côté vulnérable et fragile de la maman de Mei ?
DS : C’était très important pour nous de montrer Ming sous toutes ses facettes. Souvent, la mère asiatique est stéréotypée comme une mère tigre, une femme dragon… Bon, il y a aussi une certaine vérité là-dedans (rires). Si vous demandez à n’importe quelle personne asiatique de vous parler de sa relation avec sa mère, il y aura certaines caractéristiques qui reviendront, mais il y a une raison pour cela.
Ça devient un stéréotype quand vous ne montrez que la surface et que vous ne creusez pas pour voir ce qu’il y a derrière. Il faut comprendre d’où vient cette dureté, d’où vient ce besoin de mettre la pression aux enfants ? Cela vient de l’amour, du fait de vouloir les protéger, ça vient des anciennes générations qui leur ont enseigné cela. C’était donc essentiel de montrer ce côté de la mère de Mei dans Alerte Rouge, afin de la rendre plus humaine et de faire sentir aux personnes comme elle dans la vraie vie qu’elles sont complexes, profondes et qu’elles ne sont pas juste des stéréotypes.
LC : Je crois que tu as eu une meilleure interprétation de ta propre mère en faisant le film. En prêtant attention à Ming et en essayant de comprendre pourquoi elle est devenue comme ça, tu as compris aussi des choses sur ta mère.
DS : Je pense que cela montre également l’évolution de Mei. Elle grandit et arrive à un âge où elle réalise que sa mère n’est pas une seule chose. Elle n’est pas un monstre, elle n’est pas une déesse, elle est simplement un être humain avec des défauts.
Le film se déroule au début des années 2000. Avez-vous choisi cette période uniquement parce que c’est la période à laquelle vous avez grandi ou pensiez vous que cela serait un véritable atout pour le film ?
Je crois que c’est les deux. On ne voit pas beaucoup de films qui se déroulent à cette époque-là et je me sentais plus à l’aise avec le fait de raconter une histoire sur la puberté, ancrée dans les années 2000. Je n’ai pas grandi avec les réseaux sociaux et c’est une énorme différence avec les jeunes d’aujourd’hui. Ça m’a paru plus sympa de raconter cette histoire dans une période plus innocente et plus simple. Et la musique était géniale à cette époque aussi !
Alerte Rouge est disponible dès maintenant sur Disney+ et en DVD, Blu-ray, 4K et VOD.
Alexia Malige
Journaliste - Secrétaire de rédaction